En 1983, dans le bulletin n° 4 de notre société, je faisais paraître un article sur les peuplements piscicoles du haut Rhône, de la frontière suisse à Génissiat.
Cet article mettait en évidence l’existence de beaux peuplements de truites fario et d’espèces liées aux eaux courantes. L’ombre commun, autrefois abondant et fort recherché par les pêcheurs, avait disparu au moment des premières vidanges des barrages ; mais un espoir de retour de ce beau poisson existait avec l’espérance de l’utilisation de nouvelles techniques pour gérer l’afflux de sédiments amenés par la rivière l’Arve. Cette portion du fleuve, restée vierge de tout aménagement entre le barrage de Pougny et l’amont de la retenue du barrage de Génissiat, ne pouvait qu’attirer un jour ou l’autre l’appétit des aménageurs friands de kw. En aval, le Rhône était totalement équipé et transformé en une succession d’escaliers jusqu’à la mer … enfin presque car, il y a une vingtaine d’années, une forte mobilisation des pêcheurs et des associations de protection de la nature avait permis de faire échec à un projet de construction d’un ouvrage au confluent de l’Ain et du Rhône.
Cette fois-ci ce sont les genevois qui relancent la construction d’un barrage dans cette zone à cheval sur les deux pays, afin de disposer de plus d’électricité. Le grand naturaliste, artiste et philosophe suisse Robert Hainard avait espéré, avec la construction de centrales nucléaires, que les barrages hydro-électriques ne seraient plus nécessaires et que les rivières et fleuves retrouveraient leur liberté et leur richesse d’antan. Et bien il a eu et les centrales nucléaires et les barrages …
Sur le site de « Conflan-Pougny » des compensations naturalistes sont prévues :
- construction de deux ruisseaux artificiels permettant aux poissons de franchir l’obstacle du barrage. Mais que feront les truites de lac qui vivent dans la retenue de Génissiat en aval et qui viennent frayer dans les zones courantes quand elles se retrouveront en eau calme : plus de reproduction possible …
- installation d’une « île aux oiseaux » dans la nouvelle retenue créée.
Les communes semblent favorables au projet et il est prévu que les premiers travaux commencent en 2015.
Une fois de plus la biodiversité va être mise à rude épreuve, le fleuve à salmonidés se transformant en un fleuve à cyprinidés.
Pendant la construction du barrage, le fleuve sera dévié de son cours actuel et passera dans le plan d’eau de la carrière Vernay.
Le site du barrage est actuellement très fréquenté par les pêcheurs en eau vive. (pêche de la truite, du barbeau, de la lotte …)
Aval immédiat du futur barrage : c’est là qu’aboutiront les nouveaux cours du ruisseau : l’Annaz, qui servira de passe à poissons, et de la Laire, son pendant suisse.
- Amont du futur barrage
- Ce secteur aux eaux vives va se transformer en un lac peu favorable aux « espèces nobles » de poissons
Vue sur l’amont ( pont de Pougny) un secteur graveleux, très favorable aux salmonidés et qui va se transformer en lac aux fonds vaseux …
Une fois de plus on sacrifie un bout de nature sauvage et le monde se transforme au profit d’une société toujours plus avide d’énergie et d’espace.
C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai appris l’existence de ce projet, moi qui suis né au bord d’un Rhône sauvage très riche en poissons et qui ai vu se détériorer, au fil des décennies, les paysages, la qualité des eaux et la richesse piscicole du fleuve de mon enfance.