Un soleil estival a marqué ces deux journées passées dans la Drôme, d’abord dans la réserve naturelle des Ramières du Val de Drôme, puis dans le secteur plus accidenté de Gigors-et-Lozeron, aux portes du Parc Naturel Régional du Vercors.
À la gare des Ramières, maison de la réserve, nous étions 25 à découvrir l’espace muséographique : maquettes interactives, panneaux, aquariums abritant quelques poissons de la rivière dont le fameux et menacé Apron du Rhône Zingel asper qui fait l’objet d’un élevage en vue d’un renforcement des populations sauvages. En plein air, le jardin des messicoles nous révélait ce qu’avaient du être les champs de blé à l’époque où les désherbants et autres produits chimiques étaient inconnus : splendides Glaïeuls d’Italie Gladiolus italicus, non moins colorés Mélampyres des champs Melampyrum arvense, Nielles des blés Agrostemma githago, et quelques autres plantes que nous n’avons pas déterminées.
La Gare des Ramières se justifie par l’existence d’une réserve naturelle nationale créée en 1987 (gérée par la Communauté de Communes depuis fin 1999) et par l’action menée par les collectivités locales sur la rivière Drôme (20 ans de travaux qui font de la Drôme une rivière sauvage unique en Europe). Ce lieu était l’Hôtel-Restaurant de la Gare d’Allex, gare qui a été détruite après la guerre.
Le terme ramière désigne localement des boisements riverains des cours d’eau (ramus : branche). La réserve s’étend sur 10 km dans le lit majeur de la rivière Drôme en aval de la ville de Crest.
Ainsi la scénographie pour le parcours de visite a été faite sous forme de plusieurs quais. Le voyage est ludique, sensoriel, interactif, pour le plaisir de toute la famille…
- Le Hall d’entrée Le cœur de la gare
- Quai n°1 Le Voyage de l’immersion
- Quai n°2 Le Voyage de la Biodiversité
- Quai n°3 Le Voyage de l’expérimentation
- Quai n°4 Le Fluvarium
Ce dernier reproduit de manière artificielle le courant de la rivière et apporte ainsi de précieuses données aux chercheurs. En 2005, une étude dans le cadre du programme européen de sauvegarde de l’Apron du Rhône a permis à une équipe de scientifique de développer une passe à poisson spécifiquement adaptée pour ce dernier. L’importance de cette passe est capitale pour la reproduction de l’espèce car sans elle, l’apron ne parvient pas à passer les barrages pour retrouver sa zone de reproduction. Ainsi, le fluvarium constitue un formidable outil pour la connaissance et donc la protection d’espèces sensibles.
Des mares ont été reconstituées et l’une d’elles peut être observée dans son intimité subaquatique à partir d’une baie vitrée dans la maison de la réserve. Ainsi la vie de nombreuses petites bêtes est-elle révélée : larves de libellules, limnées, et un étonnant diptère, Chaoborus sp. dont la larve cristalline est appelée Ver de cristal… Au milieu des Characées, étranges algues buissonnantes, des plantes aquatiques foisonnent dont, entre autres la Petite massette Typha minima, plante protégée, le Potamot coloré Potamogeton coloratus et l’Ache nodiflore Helosciadium nodiflorum. Régis nous montrera quelques exuvies de libellules (Anax imperator) et identifiera plusieurs espèces, Ischnura elegans, Coenagrion puella, Libellula depressa…
Nous avions été accueillis par le conservateur de la réserve, Jean-Michel Faton qui nous présenta « son »domaine, répondit à nos questions, puis nous accompagna toute la journée sur les berges de la Drôme.
Créée le 2 octobre 1987, la réserve naturelle s’étend sur 346 ha auxquels s’ajoutent 57 ha Arrêté préfectoral de biotope sur le sur le site des Freydières depuis 2005.
Une Réserve Naturelle Nationale est protégée par une réglementation particulière. La mission première du gestionnaire est de faire appliquer cette réglementation. Deux règles sont communes à toutes les réserves naturelles de France :
- Leurs territoires ne peuvent être ni détruits, ni modifiés dans leur état ou dans leur aspect.
- Toute publicité y est interdite.
La réglementation diffère d’une réserve à l’autre, mais protéger ne signifie pas fermer à double tour. La réserve des Ramières est ouverte au public et des sentiers de découvertes y sont aménagés. Pour bien gérer le patrimoine protégé par la réserve naturelle, il faut bien connaître les milieux et les espèces qui s’y trouvent. Un suivi quotidien est assuré par l’équipe de la réserve naturelle, aidée par des scientifiques de haut niveau. Le parti pris dans la réserve des Ramières est qu’il vaut mieux laisser faire la nature et d’intervenir le moins possible sur la dynamique naturelle des habitats et des espèces. Le plan de gestion de la réserve, réalisé en 2002 pour 5 ans, fixer les objectifs et les actions à entreprendre sur le territoire de la réserve.
Le milieu ainsi protégé est la rivière sauvage, bancs de graviers et îlots, ripisylve de saules et peupliers, prairies à orchidées, résurgences phréatiques.
Tous les habitats naturels méritant une action de conservation sont ici liés à l’hydrosystème de la plaine alluviale de la rivière Drôme. Le maintien ou le développement des espèces « patrimoniales » dépend avant tout de la bonne santé et d’une gestion équilibrée et durable de l’hydrosystème. Son originalité tient à plusieurs caractéristiques : cours d’eau en tresses d’une longueur assez rare (108 km) pour les Alpes occidentales, absence de grands aménagements (pas de barrage sur son bassin versant), fonctionnement hydrologique non perturbé, valeur écologique exceptionnelle de certains secteurs.
- Faune 46 espèces de libellules (dont l’Agrion de mercure), plus de 200 papillons, plus de 280 espèces de vertébrés dont 17 poissons (dont l’apron du Rhône), 6 amphibiens, 10 reptiles,17 mammifères (castor d’Europe), 200 oiseaux dont 70 nicheurs (Aigrette garzette, Milan noir, Faucon hobereau, Petit-gravelot, Guêpier d’Europe, Martin pêcheur) et 100 migrateurs (Cigogne blanche, Cigogne noire, Balbuzard pêcheur, bécasseaux) et hivernants (Mouettes rieuses, cormorans …).
- Flore 680 espèces végétales dont 1 protégée sur le plan national (Nigelle de France) et 5 au niveau régional, plus de 100 espèces d’arbres et arbustes, douze orchidées et 15 plantes aquatiques (Potamot coloré).
Ainsi donc, la rivière serpentait, quelques kilomètres plus loin, entre de grandes plages de galets encadrées par la ripisylve. Quelques oiseaux se laissèrent observer d’assez loin, mais les longues vues nous permirent de bien les identifier : Aigrette garzette, couple de Colverts, Petit gravelot, Chevalier guignette. D’autres nous survolèrent : Milans noirs, un Faucon hobereau vite évanoui, Héron cendré toujours craintif, Goélands leucophées. D’autres encore furent notés grâce à leur chant : Rossignol philomèle, omniprésent, Fauvette à tête noire presque aussi commune, Mésange charbonnière, Bouscarle de Cetti, Rouge-gorge, Martin pêcheur…
Un peu auparavant, à la Gare des Ramières, nous avions furtivement aperçu un Circaète Jean le blanc poursuivi par une corneille, quelques Moineaux domestiques, des Hirondelles de fenêtre et un Rouge-queue noir. Au bord du lac des Freydières près duquel nous casse-croutâmes plus tard, Régis nous fit découvrir quelques libellules : Anax imperator, Libellula depressa, Gomphus vulgatissimus, Libellula fulva, Ischnura elegans, Platycnemis pennipes, Calopteryx splendens, Gomphus pulchellus, Enallagma cyathigerum et l’Agrion de Mercure Coenagrion mercuriale.Pour les papillons nous avons surtout noté le flambé…
Ce lac des Freydières est une ancienne gravière, mais il occupe le site de ces fameuses freydières, sources issues de la nappe phréatique de la Drôme, à l’onde froide et cristalline. C’est dans ces eaux souvent envahies par le Potamot coloré Potamogeton coloratus et l’Ache nodiflore Helosciadium nodiflorum, que se développe les plus belles populations d’Agrion de Mercure de France (non non ce n’est pas un roman !). Au bord du plan d’eau, ça et là, des suintements rappellent l’activité hydraulique de ce secteur… Partout fleurissait l’Aphyllanthe de Montpellier avec ses belles et multiples petites fleurs bleues et le thym embaumait le paysage… L’Aphyllanthe, Aphyllanthes monspeliensis est appelé Bragalon (on prononce bragalou en occitan. C’est le seul genre de la famille des Aphyllanthacées, récemment sortie de la longue liste des Liliacées… Cette espèce méridionale remonte jusque dans le sud du Bugey et la région de Chambéry, sans que les populations y atteignent les tailles de celles du sud. Pour nous mettre en appétit, Jean-Michel nous avait même organisé une activité raid à faire pâlir les plus aguerris de Khan Lanto ou de Sorvivur : traverser l’émissaire du lac, dont les eaux cristallines et profondes (de quelques centimètres) sinuaient au sein d’un amas de rochers géants (enfin… décimétriques)… Tout le monde, pieds nus ou chaussures humides s’en tira sans difficulté et put ainsi prétendre à un pique nique copieux…
L’après-midi nous reprîmes les voitures pour visiter un autre milieu où nous devions trouver la magnifique Proserpine Zerynthia rumina, un papillon très coloré que nous ne connaissons pas dans l’Ain et dont la plante hôte de la larve (la fameuse PHL) est la Pistoloche Aristolochia pistolochia. Un vent assez fort soufflait sur ces pentes orientées au sud et les buissons de chênes verts ne suffisaient pas à le calmer. Que de thym, d’aphyllantes et d’aristoloches… mais pas de proserpine… Le vent l’avait découragée.
Rossignols, pinsons des arbres et une fauvette passerinette se firent remarquer. Christian nous montra quelques papillons : le Grand collier argenté, le rare et protégé Damier de la succise, la Petite tortue et le Flambé. Plusieurs Empuses communes Empusa pennata furent découvertes, que certains prirent d’abord pour des mantes religieuses… Comme elles, ces insectes appartiennent à l’ordre des Mantodea ou mantoptères. Les mâles aux longues antennes pennées comme celles des papillons de nuit diffèrent beaucoup des femelles, plus corpulentes et dont les antennes sont réduites… Quant aux jeunes, leur attitude singulière, popotin redressé, leur ont valu le nom vernaculaire de diablotins…
Quelques orchidées aussi en ces lieux secs : Orchis boucs (Himantoglossum hircinum) pas encore fleuris, Limodores à feuilles avortées Limodorum abortivum en plein épanouissement et Orchis singes Orchis simia.
Nous abandonnâmes ensuite ce versant pour regagner la partie nord de la réserve des Ramières et ses plages de gravier. Voici ce que nous y avons noté au fil de l’après-midi : Pour les oiseaux : Tourterelle des bois, Hirondelles de fenêtre, Pic vert, Goéland leucophée, Bergeronnettes grises, Pigeon ramier, Corneille noire. Pour les libellules : Anax imperator et un Orthetrum sp. Pour les papillons : le Bleu nacré d’Espagne, le Fluoré, l’Ascalaphe soufré (Libelloides coccajus), en grand nombre (qui sont ni des libellules ni des papillons, mais des Névroptères, comme le fourmilion et le chrysope).
Pour les orchidées : quelques Ophrys sp. et un Cephalanthera damasonium, la Céphalantère blanche, dont Jean-Michel Faton nous apprendra plus tard qu’il s’agit de la première mention sur la réserve naturelle. Pour les mammifères : arbres coupés ou rongés par le castor Pour les poissons : quelques beaux hotus et de jeunes barbeaux
Il fallut ensuite quitter les bords de la Drôme pour prendre un peu d’altitude et nous rendre à notre gîte à Gigors-et-Lozeron, plus précisément au hameau de la Charousse. C’est une belle maison ancienne aux pierres apparentes, bien aménagée où, après un bon repas, nous passâmes une nuit confortable. Cependant, avant d’aller dormir, nous avions encore deux activités prévues. Christian avait installé un piège lumineux pour capturer des papillons de nuit et divers insectes (opération qui devrait faire l’objet d’un article ultérieur) et Régis avait décidé de nous faire rechercher l’Écrevisse à pieds blancs Austropotamobius pallipes et des larves de Cordulegaster bidentata, une grande libellule noire et jaune, dans un pur ruisseau proche.
La pêche des écrevisses à pattes blanches, de torrents, à pattes grêles, à pattes rouges est autorisée en Drôme le 30 et 31 juillet 2011 (taille minimum de capture 9 cm, mesurée de la pointe de la tête, pinces et antennes non comprises, à l’extrémité de la queue déployée). En France, il existe trois espèces d’écrevisses autochtones ou natives :
• l’écrevisse à pieds blancs, Austropotamobius pallipes (Lereboullet, 1858)
• l’écrevisse à pattes rouges, Astacus astacus L., 1758.
• l’écrevisse des torrents, Austropotamobius torrentium (Schrank, 1803)
Leur survie dépend étroitement de la température de l’eau. Elles ne peuvent, par exemple, se reproduire que dans une eau inférieure à 12° au mois d’octobre. Elles sont par ailleurs très sensibles aux pollutions (pesticides, eutrophisation…)
Si les écrevisses furent rapidement repérées dans la lumière des torches (certaines étaient d’un beau bleu turquoise car elles venaient de muer) par contre les larves de libellules devaient habiter d’autres lieux, plus en amont nous précisa Régis, après…
Le dimanche matin, après avoir été rejoints par tous ceux qui n’avaient pas dormi au gîte nous partîmes explorer les vallons proches que le conservateur de la réserve nous avait chaudement recommandés, mais, avant de démarrer nous eûmes le privilège d’admirer, grâce aux longues vues, de jeunes grands corbeaux qui s’agitaient sur leur aire, au milieu de la falaise qui nous dominait. Cette falaise abritait aussi une importante colonie de choucas.
Notre caravane pédestre prit le chemin de pentes couvertes de thym et de buissons de genêts en fleurs. Que de couleurs ! Le vent était tombé. Christian ne fut pas long à découvrir les premières proserpines, que les Espagnols surnomment à juste titre, l’Arlequin ! Les ascalaphes volaient aussi par dizaines, occupés à chasser des petits insectes. Françoise nous signala bientôt une autre rareté : Neotina tridentata l’Orchis à trois dents, indiqué à de rares occasion dans l’Ain. Les photographes avaient de quoi s’occuper…
D’autres nous hélèrent, ayant découvert ce qui leur paraissait ressembler à un phasme… Sur le coup, nous ne l’avons pas reconnu, mais c’était bien un petit phasme, le Phasme ibérique Pijnackeria hispanica, tout de vert paré pour mieux se fondre parmi les touffes de sa plante hôte, Dorycnium pentaphyllum, une fabacée…
Quelques oiseaux chantaient : Fauvette à tête noire, Fauvette passerinette, Pouillot de Bonelli puis, soudain le spectacle ornithologique prit une autre ampleur avec l’arrivée de un puis deux puis bientôt 18 Vautours fauves, puis un Faucon pèlerin, puis plusieurs dizaines de choucas : un feu d’artifice ! En redescendant pour piqueniquer nous notâmes encore un Rouge-queue noir et le chant du coucou…
Mais le spectacle n’était pas fini : En interrogeant notre hôte, celui-ci indiqua à Christian l’emplacement où avaient niché les faucons pèlerins ces dernières années et bientôt l’aire fut trouvée : deux fauconneaux s’agitaient sur une vire, derrière des vipérines. Cerise sur le gâteau : la femelle adulte vint se poser à proximité de l’aire et chacun (enfin… presque tous) put admirer ce bel oiseau. C’était l’heure du pique nique, dans une atmosphère toujours bon enfant, chacun tâtant du saucisson ou de la salade avant de scruter la falaise dans la longue vue…
L’après-midi fut consacré à un autre vallon proche, très pittoresque mais nous vîmes peu d’oiseaux, sans doute à cause de la chaleur : quand même encore un vautour fauve, un faucon crécerelle, un milan noir et quelques moineaux domestiques près des maisons du bas.
Le long du sentier nous repérâmes plusieurs orchidées : la Grande Listère Listera ovata, Limodore à feuilles avortées, et le Jasmin d’été Jasminum fruticans aux fleurs jaunes… Les falaises et les points de vue étaient splendides. Certains d’entre nous poussèrent jusqu’aux ruines de l’Espéri, mais pour beaucoup, la fatigue avait joué et l’heure avançant, ils s’étaient dirigés vers les voitures, garées près du ruisseau…
L’heure du retour était malheureusement arrivée. Merci aux photographes qui ont permis d’illustrer cet article, merci au conservateur de la réserve qui nous a si bien accueillis, merci aux animateurs : Régis, Christian et Françoise, et Pierre, naturellement, qui nous ont fait profiter de leurs connaissances. Deux belles journées pleines de découvertes et de bonne humeur, des souvenirs plein les yeux et les oreilles, pour longtemps…
Et pour finir, quelques blagounettes entendues lors de ce weekend…
- À l’heure du repas et de la salade, François nous gratifie d’un « le thon monte ! »
- Combien de temps vit l’ascalaphe ? L’ascalaphe, 2000 ans !
- Pourquoi les milans noirs cerclent-ils au-dessus des prairies ? Bonaparte l’avait déjà remarqué : « Du haut de ces prés humides, quatre milans nous contemplent » disait-il…
Les zooms sont issus du Site Web de la Réserve naturelle des Ramières et du Site de la Fédération de pêche de la Drôme