Le journalisme est un exercice difficile, informer en restant intelligible, concilier la nécessité d'un message clair à l'exactitude de l'information, l'exercice tient de la pédagogie et ce n'est pas tâche aisée. On a pu découvrir dans les lignes de notre hebdomadaire idanien du 7 janvier 2011 que dans la "Rivière d’Ain : les algues menacent les activités de loisirs". Cet article m'a donné envie de réagir. Déjà parce que le barrage d'Allement était devenu «l'Allement» (et pourquoi pas l'Anglet) mais aussi pour lever une vieille idée reçue d'une part, et pour informer surtout, en évitant l'écueil et la facilité du jeu sur la corde sensible (les algues «gazifiantes» des étés derniers étaient passées par là), et de préférer un discours un peu plus technique, mais au moins documenté.
Je suis une algue, mais une algue qui pense
L'élodée de Nuttal, pas plus que la rose, le chêne ou le nénufar n'est une algue. C'est une plante à fleurs et à graines, avec des feuilles, des tiges, des racines et des vaisseaux. C'est prendre les lecteurs pour des imbéciles et des illettrés que d'asséner de telles contrevérités.
Commençons par rappeler quelques points essentiels : Toutes les algues ne sont pas aquatiques, et tous les êtres vivants aquatiques ne sont pas des algues ! Une Algue est un organisme défini autrefois par défaut et qui regroupe maintenant dans le langage courant, des êtres vivants très différents les uns des autres.
Ainsi, on trouvera les Cyanobactéries (Règne des Bactéries), les Haptophytes (dont les coccolithophores qui produisent la craie et l'écume que l'on voit sur les plages) et les Ocrophytes (le fameux Fucus – Goémon ou Varech - et les Sargasses) toutes deux appartenant au règne des Chromistes ; les Chlorophytes (Caulerpa, Ulva ou laitue de mer), les Rhodophytes (les Algues rouges) appartiennent au règne des Plantes alors que des êtres unicellulaires proches des animaux, les Dinophytes relèvent du règne des Protozoaires et sont bien connus pour rendre coquillages et poissons inconsommables pour l’homme (Dinophysis chez les huîtres, ciguatera chez les poissons, etc.). Bref, si tous ces êtres sont des algues, nous en sommes aussi ! Mais, me direz-vous, en quoi notre élodée de Nuttal se différencie-t-elle fondamentalement des algues ? Les algues vertes comme la laitue de mer ou la Caulerpe ont ni feuilles, ni tiges, ni racines ni fleurs. Elles sont fixées par des crampons possèdent un thalle indifférencié et assurent la photosynthèse au travers de tous leurs organes. Leur reproduction est assurée par des spores, comme les champignons ou les fougères. Notre élodée, elle, est une plante avec des racines, des tiges, des feuilles qui lui permettent d’assurer la photosynthèse, et des fleurs qui donnent des fruits et des graines.
Encore une canadienne sur nos ondes ?
Cela ne change pas grand chose à la problématique néanmoins. L'élodée de Nuttal Elodea nuttallii (Planch.) St.John de la famille des Hydrocharitacées est comme ses cousines l’élodée du Canada, l’élodée dense et le lagarosiphon, des plantes originaires d’Amérique du Nord, réputées invasives. Elle est apparue en France dans la deuxième moitié du XXe siècle, peut-être par la navigation, par le déversement des eaux d’aquariums pour lesquels l’espèce (vendue sous le nom d’Anacharis) est appréciée, ou encore par le rat musqué, lui aussi nord-américain. Elle colonise des eaux qui subissent de fortes variations saisonnières de température et nettement eutrophes car elle profite des phosphates et des nitrates. Le spectre trophique des élodées permet de situer Elodea canadensis dans les zones méso à eutrophes, tandis que E. nuttallii peut coloniser les zones les plus eutrophes, accompagné de Myriophyllum spicatum et de Ceratophyllum demersum.
Les plans sont essentiellement femelles, et la dispersion se fait essentiellement par bouturage des fragments de tiges et de feuilles. Dès lors, on comprendra que toutes les techniques qui visent à arracher, faucarder, chasser par lâcher de barrage seront vaines, l’espèce se réimplantera sur place ou plus loin. Une fois implantée, il suffit d’un canard, un coup de ligne, de pagaie, de ski ou d’hélice pour en détacher des fragments qui iront bouturer plus loin. Même le froid ne l’arrête pas, seules des eaux à moins de 8°C ou plus de 25°C freineraient son développement (c’est ce qui se passe en surface, mais pas à 2 ou 3 m de fond, là où elle s’enracine !). Quand les eaux sont froides, en hiver, elle survit sous forme de petits bourgeons, les hibernacles, indétectables dans les sédiments.
Alors que faire ? D’abord informer et ne jamais plus introduire d’espèces exotiques dans un milieu naturel ! Puis, laisser les spécialistes travailler à l’élaboration d’un plan qui permettra de limiter le développement de l’espèce. Mais pour celle là, les chances d’y parvenir sont faibles ! La rebelle a même une protection contre les désherbants ! Oui, à des doses à faire crever toutes les autres plantes du secteur, mais qui ne l’atteindront pas, ou si peu ! Pourquoi ? Le traitement est rendu quasiment inefficace du fait de la protection chimique de ces espèces par le périphyton, des algues et des bactéries associées à la plante… Sans compter les effets induits sur les écosystèmes aquatiques et la santé humaine qui seraient problématiques. Des carpes chinoises (cette autre invasive !), n’y comptez pas, aucun poisson ni oiseau ne mange cette élodée ! Quant au faucardage, on en a vu les risques… Reste l’arrachage, mais avec des protections pour que les fragments ne se dispersent pas ! Et n'oublions pas les hibernacles ! Comme pour d’autres hydrophytes qui prolifèrent, un « moissonnage » des peuplements d’élodées s'il peut réduire leur dynamisme, peut malheureusement conduire dans certains cas, à de nouvelles colonisations, encore plus fortes, en particulier dans les eaux closes.
Les sirènes donnent l’alerte et l’Ain de la voix
Quels sont les dangers objectifs de cette espèce ? Les proliférations de populations mono-spécifiques d’élodée de Nuttall peut entraîner des dysfonctionnements des milieux aquatiques, telles les anoxies (déficit d’oxygène) périodiques (d'où le développement d'eaux rouges constaté pendant l'été 2010). Elles constituent bien sûr un obstacle à l’écoulement des eaux et une gêne importante pour la pratique des loisirs nautiques et de la pêche ; la pêche à l’élodée deviendra-t-elle un sport de foire comme la pêche à la truite arc-en-ciel (tiens, une autre exotique !) ? D’autre part, l’extension de peuplements mono-spécifiques se faire souvent au détriment d’autres plantes immergées (hydrophytes) indigènes comme les nénufars, myriophylles et rubaniers et réduisent localement la biodiversité.
Pisces et circense
Mais tout n’est pas noir chez la rebelle du pays blanc ! Comme l’ensemble de la végétation aquatique, les herbiers d’élodées favorisent la reproduction et le développement des poissons mais aussi des insectes (leur nourriture pour partie) en servant soit de support aux œufs, soit de garde-manger, soit d’abri pour les plus petits. Des frayères sont ainsi abritées des prédateurs, le menu fretin pouvant grandir à l’abri des crocs des plus gros… Elle apporte aussi du matériau pour la construction des nids, et sa décomposition crée du sédiment où la vie aussi se développe. Enfin, comme elle ne se développe pas au-delà d’une profondeur de 3 m, il ne semble pas que cette plante puisse « boucher » la rivière d’Ain. Au pire, elle colonisera les rives et les zones de hauts fonds, en étant une gêne pour les activités humaines (approche des mouillages et des ports, pêche, baignade) mais n’aura finalement qu’un impact limité sur l’écosystème de la rivière, au vu du volume d’eau que les réservoirs EDF constituent. Il semblerait encore une fois que l’homme se soit donné des coups de bâton et en accuse maintenant la nature. Une dose d’optimisme, l’élodée du Canada, la peste d’eau qui a colonisé nos rivières et nos lacs au XIXe siècle a maintenant quasiment disparu du territoire national. Pourquoi ? Peut-être par épuisement génétique (il n’existait pas de pieds mâles), peut-être à cause du réchauffement climatique, peut-être à cause de la pollution... L’élodée de Nuttall lui succèderait donc…
La voie du chalut
Mais me direz-vous, ce brave monsieur ne résout pas grand-chose là ! Eh oui ! La science a ses limites, la technique aussi ! Je proposerais bien un ébouillantage de la rivière, une congélation, l’interdiction d’accès à toute personne équipée de quoi que ce soit auquel un fragment de la canadienne pourrait s’accrocher, l’extermination du rat musqué, une dose massive de glycophate (vous savez, cet herbicide révolutionnaire qui fait une « rafle ») et aussi une toile géante pour éviter aux oiseaux de se poser, ainsi que l’arrêt des centrales électriques ! Un peu excessif me direz-vous ? Certes ! L'homme depuis près de deux siècles tente de gérer son milieu de vie. C'est un lieu commun de dire que nous en savons encore bien peu sur notre environnement. Alors bloquer une rivière torrentueuse pour l'électricité, c'est bien, mais la rivière devient lac, les conditions changent. Des lessives et des produits d'entretien toujours plus nombreux, des pesticides toujours plus puissants, mais qu'on retrouve forcément en bout de chaîne à la rivière, avec des concentrations d'azote, de phosphate et d'ammoniac catastrophiques. Alors on commence à réfléchir... On brise des barrages ça et là, on redonne des méandres à des cours d'eau rectifiés autrefois, on brise des digues pour favoriser l'expansion des crues, et l'on compte sur les végétaux des lagunages pour digérer notre faim de toujours plus ! La voie de la sagesse ? Allez ! un peu d'optimisme, le Canada nous a déjà imposé d’autres fléaux sur nos ondes, radio celles-là, alors il va falloir vivre avec cette peste là, j’en ai bien peur ! Et s'il faut renoncer aux balades en bateau-promenade, aux hors-bord et aux {cabin-cruisers}, cela garantira un peu de tranquillité aux contemplatifs ainsi qu'à la faune...
Pour retrouver l’article de la Voix de l’Ain 7 janvier 2011 Rivière d’Ain : les algues menacent les activités de loisirs
Et pour approfondir le sujet, un peu de lecture :
- Collectif. (1997). Biologie et écologie des espèces végétales proliférant en France. Synthèse bibliographique. In Les études de l’Agence de l’eau n°68, pp. 199 pp.
- Saint-Maxent Th., 2002. Jeu de fiches descriptives des espèces végétales exotiques et indigènes susceptibles de proliférer dans le bassin Artois-Picardie, Agence de l’Eau Artois-Picardie, 167p.