Comme la première sortie odonates de 2009 avait laissé un souvenir impérissable, j’ai donc décidé de reconduire l’exploit pour 2010. L’objectif, le même, faire connaissance avec les premières libellules de l’année, et traquer l’insaisissable, la mythique épithèque…
Nous sommes donc neuf Natus en ce petit matin frais, réunis sur l’emplacement de l’ancien immeuble Chambard. Comme l’an dernier, Daniel Grand, odonatologue de réputation internationale et voisin lyonnais, nous accompagne. Nous espérons seulement que, contrairement à l’an passé, il restera un peu plus longtemps avec nous [1]…
Le premier site est un étang de Viriat où le propriétaire et sa femme nous accueillent gentiment, comme à l’habitude… Leur petit home nous sera d’ailleurs bienvenu lorsqu’une ondée froide nous éloignera des rives de l’étang pendant quelques minutes.
Auparavant, nous avons déjà aperçu quelques odonates, surtout des émergences de Libellula fulva, la Libellule fauve, dont le mâle mérite bien son nom à ce moment de sa vie, avant que l’âge ne laisse une pruine azurée recouvrir ses habits mordorés…
La rencontre avec une Tenthrède (un hyménoptère aussi appelé Mouche à scie en raison de l’oviscapte serrulé de la femelle) sera l’occasion des premiers coups de flash. Mais c’est Loïc qui nous a découvert les premières exuvies d’Epitheca bimaculata, sans doute très fraîches car les jours précédents, Pierre avait surveillé en vain la rive d’un étang proche qui nous livrait d’habitude les premières de l’espèce.
L’ondée passée, nous continuons notre prospection… Il est maintenant 11h, l’heure des émergences de l’Insaisissable, de la Mythique… Elles ne se font pas attendre… On a tôt fait de rencontrer des larves prêtes pour la mue imaginale, fixées à leur support, encore toutes humides… Et Loïc, encore lui, nous trouve la première émergence avant que chacun ne l’observe, la photographie et s’extasie. Sur un tas de bois, Daniel découvrira une exuvie à plus d’1,6 m de hauteur…
Cordulia aenea, qui est sans doute l’anisoptère le plus précoce de notre région nous offre de bien belles occasions de photographier son émergence. L’insecte est livide au début de son aventure imaginale mais prendra de belles couleurs bronzées qui quitteront bien trop vite ses ailes…
Deux épithèques émergent un peu plus loin… L’une est près de l’eau, à peine visible dans les roseaux… L’autre est au sommet d’une tige. Elle nous offre un long ballet… Les ailes couvertes de gouttelettes, elle est tour à tour orant ou danseur… L’occasion pour plus d’un d’entre nous de fixer une posture sur le capteur… Nous mesurons une fois de plus la chance que nous avons de contempler ce moment rare… C’est une espèce précieuse, belle, majestueuse, empreinte de sauvagerie… Farouche comme l’on imagine les paysages d’Europe centrale et plus loin encore, la taïga…
Epitheca bimaculata |
Plus loin, c’est à Françoise de nous trouver une jolie femelle de Gomphus pulchellus, une nouveauté pour cet étang (nous en trouverons deux autres et deux exuvies plus tard), bien coopérative (le temps aidant quelque peu !).
Gomphus pulchellus |
La queue de l’étang nous apportera comme à l’habitude son lot d’émergences de Libellula depressa et un beau parterre de Convallaria majalis, une rareté, euh ! Non ! Je plaisantais ! En terminant le tour de l’étang et en nous dirigeant vers les voitures (13 heures ont déjà sonné et la sirène retentit), nous croiserons encore quelques odonates sur notre chemin, dont Platycnemis pennipes pour lequel la saison commence…
Platycnemis pennipes |
Le pique nique se fera au bord de la ligne de chemin de fer, au-delà de laquelle une cigogne (Ciconia ciconia) cherche sa pitance dans un labour depuis notre arrivée, indifférente aux convois dont les mécanos actionnent les trompes pour nous saluer ! Loïc tentera bien de l’approcher, mais l’oiseau saura garder ses distances et laissera notre jeune collègue quelques coups d’ailes derrière…
Quelques verres de gamay et une délicieuse galette aux pralines plus tard, nous reprenons les voitures avant de faire halte devant l’étang des Gonnets, au bord d’une petite route et donc facile à observer sans entrer sur la propriété. Cette pièce d’eau joue pour moi le rôle d’indicateur depuis deux ans. Sa situation permet en effet de trouver rapidement les premières exuvies d’épithèque de l’année. Mais aujourd’hui, rien à se mettre sous les yeux, pas plus que les jours précédents, Pierre Roncin ayant eu la gentillesse de passer un jour sur deux pour guetter l’apparition de la première… Il faudra chercher au sein d’une touffe de jonc pour voir l’une d’elles émerger. Nous trouverons également plusieurs exuvies de Cordulia aenea ainsi qu’une émergence, et une Libellula quadrimaculata forme praenubila, toute fraîche : les femelles de cette forme offrent de magnifique taches alaires, bien plus développées que dans la forme nominale.
Un autre étang nous attend. Un assec prolongé d’un an le rend intéressant : va-t-il-nous offrir des surprises ? Oh que oui ! Une, puis deux émergences d’épithèque et une troisième bientôt, plusieurs exuvies aussi… Un élément de plus qui tendrait à prouver que cette espèce est bel et bien capable d’effectuer son cycle larvaire en un an dans notre région, limite méridionale de l’aire de répartition de cette belle eurosibérienne. C’est cependant l’accouplement de deux Petits paons de nuit (Saturnia pavonia) qui réjouira l’ensemble de notre petite troupe. Le mâle, très coloré et l’énorme femelle formaient au bord de l’étang un spectacle suffisamment rare pour que chacun cherche à en tirer la meilleure image.
Festival de Viriat pour Saturnia pavonia |
Nous rencontrerons également Erythromma najas qui fera couler pas mal d’encre sur le forum Boyeria, puisqu’au départ, j’avais identifié le frêle insecte à peine émergé comme Coenagrion puella ; la photo et les commentaires des colistiers m’avaient remis sur le droit chemin, prouvant une fois de plus que l’identification des néonates [2] est une activité difficile et que si les odonates apparaissent pour certains comme un groupe facile, il est sûrement celui où il est le plus facile de se tromper !
Erythromma najas |
Parmi les autres espèces, nous rencontrerons encore Libellula quadrimaculata, la forme nominale cette fois-ci.Une espèce très commune, mais toujours aussi attachante et se prêtant si bien à la photo.
Quelques centaines de mètres plus loin, l’étang de Chareyziat est au bord de la route, lui aussi. Asséché et recalibré l’an dernier, il n’a pas repris le niveau de ses eaux qu’il avait avant les travaux… Sinon une belle salve d’émergences de Libellula depressa et quelques beaux spécimens d’Ischnura pumilio, deux espèces pionnières caractéristiques, nous ne ferons pas de découverte ici ! L’étang était-il trop nu, avait-il été trop tard en eau pour accueillir les pontes d’épithèques ? Il faudra encore attendre quelques jours pour trancher définitivement.
Une fois n’est pas coutume, nous laisserons le très bel étang de But sur notre droite et nous nous dirigerons vers Cras-sur-Reyssouze, vers celui que je décris comme le plus beau des étangs de Bresse. Il est vrai que de prime abord, il évoque plus une grosse mare qu’un bel étang… Pourtant, au sein d’un vaste marécage insuffisamment prospecté, ce site est certainement une zone humide de premier plan pour l’Ain. Certes, pour ce jour, la gent des libellules se limitait à l’émergence d’une femelle d’Orthetrum cancellatum, mais l’étang abrite pourtant Leucorrhinia pectoralis, espèce protégée en France parmi un cortège d’espèces intéressant.
Le spectacle de centaines de grenouilles étrangement pâles coassant à la surface de l’onde nous aura surpris alors que d’aucun découvraient les autres trésors du lieu : une belle population d’Hottonia palustris, et une autre, tout aussi importante d’Hydrocotyle vulgaris, deux plantes protégées en région Rhône-Alpes.
Une incursion dans la zone humide nous révélera d’autres potentialités du site : une tourbière à Sphagnum criblée de fosses et de mares à l’eau acide (pH = 5,6), autant de lieux où découvrir encore quelques raretés ! D’ailleurs, nous n’eûmes pas attendre longtemps ! C’est Scorzonera humilis, plante protégée dans l’Ain qui étalera ses corolles (eh oui, ses corolles car c’est une Asteracée) sous le crépitement de nos appareils photos.
Quand on sait que cette zone accueille également le Sonneur à ventre jaune, Bombina variegata et le Faucon hobereau, on comprendra pourquoi nous repartîmes tous satisfaits de ce petit coin de nature. La nature aux naturalistes, donc ? Le hasard faisant bien les choses, nous rencontrons le fils d’un de nos Natus, drivant élégamment son break sur le chemin caillouteux…
Mais il est déjà tard et il est l’heure de rentrer chez soi, de trier ses photos et de sécher ses vêtements pour ceux qui cherchent constamment à s’imbiber des merveilles de la nature.
Merci à tous pour votre bonne humeur, votre gentillesse et les connaissances de chacun qui font que nos sorties sont un bienfait pour notre culture, notre corps et notre mental !
L’exuvie caractéristique d’Epitheca bimaculata
Liste des odonates observés lors de la sortie
Zygoptères | Anisoptères | |
---|---|---|
Ischnura elegans | Gomphus pulchellus | |
Ischnura pumilio | Cordulia aenea | |
Coenagrion puella | Epitheca bimaculata | |
Erythromma najas | Libellula quadrimaculata | |
Pyrrhosoma nymphula | Libellula depressa | |
Platycnemis pennipes | Libellula fulva | |
Orthetrum cancellatum |
Participants et photographes
Françoise Blondel-Carette (FBC), Leslie Krithari, Marjorie Lathuillière (ML), Loïc Dubois, Yves Dubois (YD), Daniel Grand (DG), Régis Krieg-Jacquier (RKJ), Pierre Roncin (PR) et Laurent Troly (LT).