L’agrion de Mercure

Une espèce protégée, pourquoi ?
Publié le lundi 9 février 2009 par Régis KRIEG-JACQUIER

Chers lecteurs… Nous accueillons l’Agrion de Mercure, une espèce qui fait beaucoup parler d’elle dans l’Ain…

A. Grillon : Bonjour, pourriez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?

Coenagrion mercuriale : Bien sûr, je suis Coenagrion mercuriale, j’appartiens à l’une des 12 espèces européennes du genre Coenagrion, lui même membre de la famille des Coenagrionidae qui compte 82 genres dont 30 en Europe.

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Mâle de Coenagrion mercuriale, Isère

En français, je suis l’Agrion de Mercure, pour les Anglais, la demoiselle du sud (Southern damselfly). Il en est même pour ajouter malicieusement qu’à Viriat je suis l’Agrion de la mère Curt (un patronyme bien répandu sur cette commune bressane !).

A.G. : Où peut-on vous trouver ?

C.M. : Mon espèce a une aire de répartition qui est limitée au sud ouest de l’Europe et une partie de l’Afrique du Nord. Je suis endémique de cette région, c’est-à-dire que l’on ne me trouvera nulle part ailleurs. L’espèce a disparu de nombreux pays d’Europe de l’ouest où elle était jadis présente. Selon Wikipedia , en Grande-Bretagne, l’espèce est prioritaire pour les actions de conservation au niveau des programmes concernant la biodiversité qui ont été mis en place par le gouvernement.

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Coenagrion mercuriale Répartition
carte de Askew, R.R (1988) « The dragonflies of Europe », Harley Books.

Depuis 1997, un comité de pilotage spécifique regroupe des chercheurs de l’université de Liverpool, la British Dragonfly Society et des gestionnaires d’espaces naturels. L’objectif de ce programme est de protéger les sites de reproduction existant encore dans le Sud de l’Angleterre et au Pays de Galles et de tenter la réintroduction dans 5 sites en 2005. Ce programme, piloté par English Nature, est financé notamment par l’Union Européenne dans le cadre de crédits Life pour les rivières britanniques (Conserving Natura 2000 Rivers).

A.G. : Et en région Rhône-Alpes ?

C.M. : Selon Wikipedia toujours, « dans le sud-est de la France, Coenagrion mercuriale paraît « vulnérable » en raison de la fragilité de son habitat, mais il n’est pas rare, notamment au sein des puissants hydro-systèmes de vallée du Rhône et la vallée de la Durance. Il apparaît disséminé sur de plus petits cours d’eau dans le Beaujolais, le Bas Dauphiné, l’Avant Pays Savoyard ainsi que dans les secteurs méridionaux de la Drôme et de l’Ardèche. Le sud-est de la France possède vraisemblablement plus de la moitié des effectifs de l’espèce en France. Les plus importantes populations connues se trouvent la moyenne et la basse vallée du Rhône ou à proximité ; l’espèce évite clairement les zones cristallines du massif Central. » Pour autant, cette apparente bonne santé est très localisée et la présence de notre espèce sur des zones naturelles protégées assurant sa conservation invite à la prudence : pour la région Rhône-Alpes, comme pour la France d’ailleurs, notre espèce est classée comme « En Danger » dans les listes rouges nationales, régionales et départementales.

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Coenagrion mercuriale sur la Berle dressée, Viriat

A.G. : Êtes-vous une espèce rare ?

C.M. : Comme je vous le disais, mon espèce a disparu de nombreux pays d’Europe de l’ouest où elle était jadis présente. Les seuls pays où les populations se maintiennent bien sont une partie de la France, de l’Espagne et le nord du Maroc.

A.G. : Ce qui justifie votre statut d’espèce protégée ?

C.M. : Bien sûr, chaque station de Coenagrion mercuriale qui disparaît est un pas vers la disparition complète de l’espèce, son extinction au niveau planétaire. Coenagrion mercuriale est l’une des rares libellules protégées en France (il y en a 10 sur près de 100 espèces) alors que certains pays d’Europe protègent toutes les libellules. Libellules protégées.

A.G. : Dans l’Ain, vous n’êtes pas très rare pourtant ?

C.M. : L’Ain est un département au patrimoine naturel riche. Les écosystèmes y ont encore souvent assez peu souffert, c’est pourquoi, des espèces considérées comme rares ailleurs en France offrent encore de belles populations. Mais seuls trois sites, dans la basse vallée de l’Ain, une en val de Saône et celle de Viriat, abritent des populations relativement importantes pour notre espèce. Le reste correspond à de petites populations disséminées.

A.G. : Alors, dans l’Ain, l’espèce est sauvée ?

C.M. : Hélas non, bien au contraire ! Le département bouge, s’équipe, s’urbanise et s’industrialise. Les nouveaux chantiers touchent des zones qui n’étaient pas affectées jusqu’à présent. Ce sont malheureusement souvent dans ces zones que mon espèce survivait.

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Drainage d’une zone humide (Ain)

Un drainage des zones humides, un assainissement mal conçu, une agriculture intensive, les rectifications de cours d’eau, tous ces travaux sont des menaces réelles pour notre espèce. De plus, les populations, mis à part les trois dont je vous ai parlé plus haut, sont faibles, ce qui justifie pleinement de garder le statut « En Danger » pour notre espèce dans l’Ain.

A.G. : Certains semblent dire que la survie d’une espèce n’a qu’un poids négligeable face au développement.

C.M. : Eh oui, l’être humain travaille à court terme. Notre espèce est un indicateur de qualité des eaux et des milieux. Si elle venait à disparaître, ça serait évidemment une perte pour la biodiversité, mais aussi le risque d’hypothéquer gravement les ressources en eau nécessaires à l’homme.

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Pollution sur la Reyssouze à Bourg en Bresse

A.G. : C’est toujours l’idée de la biodiversité qu’il faut défendre pour défendre l’homme.

C.M. : Exactement, la nature ne peut être dissociée de l’homme car l’homme en fait partie. Toutes les atteintes de l’homme à la nature ont des conséquences sur les activités de l’homme et sur sa survie.

A.G. : On a aussi dit que vous aviez réussi à détourner le TGV !

C.M. : C’est bien exagéré ! Dans le cadre de la l’aménagement de la ligne SNCF Bourg-Genève pour accueillir le TGV, des études ont montré la présence de notre espèce dans les marais de la Chagne, à Bourg-en-Bresse. Pour protéger nos populations, Réseau ferré de France a modifié la profondeur de la tranchée qui accueille les voies afin de ne pas risquer d’assécher le marais et de détruire notre population, mais également d’autres espèces animales et végétales particulièrement sensibles.

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Le chantier du TGV à côté du marais de la Chagne (Bourg en Bresse)

A.G. : Mais peut être au détriment des riverains humains ?

C.M. : Il a fallu trouver des équipements qui permettront aux riverains de ne pas avoir de nuisances supplémentaires au passage de la ligne TGV. Mais il faut bien voir que la tranchée ne fait que quelques décimètres de moins que ce qui était prévu dans le projet initial ; nous somme donc loin d’avoir dévié le train avec nos papattes musclées !

A.G. : Comment permettre à votre espèce (et donc à d’autres) de cohabiter avec l’homme ?

C.M. : L’homme a un besoin considérable d’espace qu’il gère souvent très mal. Dans un milieu naturel, les prédateurs interviennent rapidement pour limiter les excès. Dans les milieux anthropiques, l’homme maintient artificiellement des milieux qui ne seraient pas viables naturellement, d’où les déséquilibres liés aux travaux d’aménagement, à la pollution, à l’utilisation des pesticides et des herbicides… L’homme devrait économiser davantage l’espace et laisser plus de nature autour de lui. Si l’humain fuit la ville pour les bords des rivières et des lacs ou pour la montagne en fin de semaine, c’est bien qu’il a besoin de la nature pour se ressourcer.

A.G. : Bien sûr, mais l’homme est aussi propriétaire de sa terre !

C.M. : Selon lui et pour le législateur, oui. Mais il ne devrait humblement se sentir plutôt gestionnaire d’une richesse naturelle à préserver pour lui et pour les générations futures.

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Notre Terre, si fragile...
Photo NASA by Bill Anders (Apollo 8 )

A.G. : Et au cours d’une balade dans l’Ain, où pourrais-je vous rencontrer, vous et les membres de votre espèce ?

C.M. : Sur les eaux claires et propres, surtout alcalines ou modérément acides, à débit modéré. Les sources et les ruisselets qui s’en écoulent nous conviennent bien, surtout s’ils sont envahis par les plantes aquatiques comme la Berle dressée, le Potamot coloré ou le Cresson de fontaine. Ne nous cherchez pas trop haut, nous n’aimons guère la montagne au-dessus de 700m.

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Un milieu favorable à Coenagrion mercuriale avec du Potamot coloré, Chapareillan, Isère

Je cite encore Wikipedia : « Cette espèce est attachée aux sources, ruisseaux et fossés non pollués. En Autriche, elle est reconnue comme l’un des odonates dont la larve est la plus sensible à la charge organique des cours d’eau avec Cordulegaster bidentata. Cette sensibilité à la qualité de l’eau fait de cette espèce un indicateur potentiel de la qualité des habitats. Parmi les facteurs défavorables identifiés, l’eutrophisation est le plus largement répandu suite à l’intensification de l’agriculture et certainement le plus insidieux et problématique à long terme. »

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Un ruisseau favorable à Coenagrion mercuriale, Viriat

A.G. : Comment se déroule votre vie ?

C.M. : Les œufs éclosent 3 à 6 semaines après la ponte. Notre phase larvaire dure entre 1 et deux ans dans la vase et au sein de la végétation immergée. Les émergences commencent en mai et durent assez longtemps dans l’été. Dans l’Ain, on nous rencontrera encore jusqu’à la mi-septembre, mais c’est en juin que l’on nous trouvera en plus grand nombre, cherchant à nous accoupler et prospectant de nouveau milieux.

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Couple de Coenagrion mercuriale pondant dans des feuilles de ronces immergées à Viriat

A.G. : Nous nous retrouverons donc l’an prochain pour nous serrer la main alors !

C.M. : Avec plaisir, mais attention, nous sommes une espèce protégée par la Convention de Berne et inscrite sur la liste rouge des espèces animales menacées au niveau mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Vous n’avez donc pas le droit de me capturer, même en me relâchant après, ni me tuer ou détruire mon habitat. Alors nous nous ferons un signe de la patte, sans nous toucher !

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Tandem de Coenagrion mercuriale, Viriat

A.G. : Ça sera avec plaisir. Je vous remercie de m’avoir accordé cette entrevue, et bonne chance !

C.M. : Merci.

A.G. : Pour nos fidèles lecteurs, je ne saurais trop recommander le site de des Histoires Naturelles en Rhône-Alpes & Dauphiné… et ailleurs de Cyrille Deliry et les documents téléchargeables sur l’Agrion de mercure sous l’égide du Groupe de recherche et de protection des libellules Sympetrum :

FATON J.-M. et DELIRY C. 2004 Surveillance de la population de Coenagrion mercuriale (Charpentier, 1840) dans la réserve naturelle nationale des Ramières du Val de Drôme, Martinia 20 (4) : 163-180

Deliry C. & Grand D. 1998 - L’Agrion de Mercure (Coenagrion mercuriale) dans la Moyenne Vallée du Rhône. Mise en perspective des données par rapport à la Région Rhône-Alpes. - Dossier d’Etude du groupe Sympetrum, Life Natura 2000, RN de la Platière et des Ramières : 26 pp.

Iconographie Régis KRIEG-JACQUIER sauf mention contraire.


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