Teindre avec des champignons

Publié le mercredi 27 juin 2012 par Claudette TABARY

TEINDRE AVEC DES CHAMPIGNONS

Historique :

Si les teintures pour différents textiles ont depuis longtemps été confectionnées avec des matières minérales (ex : malachite), des mollusques (la pourpre du murex), ou un grand nombre de végétaux (la garance), ce n’est que dans les années 40 (restrictions obligent) que l’on s’est intéressé aux propriétés colorantes des champignons, suite à la pénurie des colorants synthétiques. Les recherches ont été abandonnées sitôt les conditions de vie redevenues normales.

Il a fallu attendre qu’une artiste américaine, Miriam Rice, reprennent des recherches sérieuses en forêt californienne, dans les années 1971-72 pour connaître avec précision les techniques et surtout les champignons qui peuvent donner des tons très variés (164 coloris) avec toutes les couleurs de l’arc en ciel, sans compter les nuances de noir, bleu clair et bleu foncé. Elle a d’ailleurs publié 2 livres : « Essais de teinture à base de champignon » en 1974 et « Mushrooms for color » en 1980, traduits en français.

Les champignons utilisés :

Ce ne sont pas forcément ceux qui nous semblent les plus colorés, comme l’Amanite tue-mouche ou la girolle, qui vont donner les meilleurs résultats. De plus, les champignons utilisés en teinture sont souvent considérés comme sans intérêt car non comestible. Il y a par exemple beaucoup de champignons poussant sur le bois, divers Polypores et Hypholomes En tout cas, pas un seul guide des champignons ne mentionne leurs propriétés tinctoriales, sauf pour le Phaeolus schweinitzii dans le guide Eyssartier Roux.

Tous ont l’avantage de pouvoir être séchés ou même congelés pour être utilisés ultérieurement.

Technique :

Il est possible de teindre la laine, mais aussi la soie, le coton et même le papier. Si la teneur en pigments de certaines espèces est importante et la résistance à la lumière de bonne qualité, un mode d’emploi strict est à suivre et des mordants doivent être utilisés : alun, tartre, étain ou chrome, pour intensifier ou fixer les tons.

En gros (si certains étaient intéressés, je leur donnerais les détails…),Après avoir hachés les champignons , les mettre dans de l’eau et les laisser bouillir une quinzaine de minutes. Auparavant, la laine aura été chauffée dans un bain avec tartre, alun et 5 litres d’eau. On filtre la teinture de champignons dans ce mélange, les différents tons sont obtenus en variant le temps de trempage, les quantités de champignons ou en délayant d’avantage. Puis on rince plusieurs fois à l’eau tiède, essore et sèche.

Toutes ces opérations sont à effectuer en plein air, vu les odeurs désagréables de ces décoctions.

Liste des champignons les plus souvent utilisés  :

Hapalopilus nidulans (Phaeolus rutilans) ou Polypore rutilant :

C’est celui qui a été utilisé pendant la seconde guerre mondiale pour teindre la laine en violet chaud. Chapeau en éventail, 2-10 cm sur 2-8cm, épais, mou, spongieux, brun cannelle à ocre terne, dont la face inférieure est tapissée de pores fins concolores. Il pousse sur feuillus et conifères. La potasse le colore en violet vif, c’est pourquoi on peut en mettre une goutte dans le bain de teinture des champignons râpés. 4 gr de champignon sec suffisent à colorer 100gr de fibres textiles.

Il faut savoir, par la même occasion, qu’il est responsable d’un syndrome d’encéphalopathie, d’autant plus dangereux que certains le confondent avec la Langue de bœuf comestible (Fistula hépatica), d’où l’intérêt de faire la réaction avec la potasse.

Phaeolus schweinitzii, Polypore des teinturiers, Polypore éponge :

Le chapeau est velouté, mou, de divers tons de brun, à bords jaune orangé à jaune soufre quand il est jeune. Les pores sont irréguliers, très fins, forment une sorte de labyrinthe et brunissent au toucher. A ce stade, il donne des tons vert mousse, jaune vif et brun. Plus vieux, le rebord a perdu sa belle couleur jaune et les tons obtenus sont plus ternes. On le trouve sur les souches ou racines de conifères vivants et morts.

Tapinella atrotomentosa (Paxillus atrotomentosus), Paxille à pied noir :

Chapeau de 3 à 30 cm, velouté, lames très décurrentes crèmes puis ochracées, roussâtres au toucher. Le pied, central ou excentré est recouvert d’un velours brun noirâtre. La chair molle , d’abord blanchâtre, devient jaune, gris rose, puis violette. On le trouve sur le bois mort de conifères.

Il contient un colorant rouge cerise : l’atrotomentine qui verdit par oxydation. C’est pourquoi le textile plongé dans un bain de ce paxille passe du brun rouge au vert.

Cortinarius semisanguineus (Cortinaire armillé) :

Petit champignon de 1 à 7 cm feutré, brun ochracé. Les lames sont rouge sang puis brun rouge à cause des spores brunes. Le pied à une base envahie de rougeâtre par le mycélium. On le trouve surtout sous les conifères (pins) mais aussi sous feuillus.

Cette espèce donne bien sûr des tons de rouge variés : rouge sang, orange vif, brun rouge, car il contient une forte teneur du colorant atrakinon.

Lors de mes recherches sur Internet, j’ai, bien sûr, trouvé des personnes qui ont essayé avec d’autres cortinaires, comme le cortinaire violet ou le cortinaire couleur de rocou, leur dénomination laissant espérer un résultat positif, mais en fait, ils sont très décevants .

Par contre ces cortinaires étant très toxiques, la question a été posée sur la dangerosité des textiles teints avec ces champignons. A moins de lécher pulls , bonnets ou écharpes, cela ne présente pas de risque … Mieux vaut éviter quand même de les utiliser pour des « doudous » qui seraient destinés aux bébés !

C’est l’occasion de faire une parenthèse pour Cortinarius orellanus en ce qui concerne l’étymologie. Plusieurs versions, qui en fait, peuvent s’ajouter. Son nom (couleur de rocou) proviendrait d’un arbuste d’Amazonie, le Rocouyer, Bixa orellana, dont les graines étaient utilisées pour leur colorant rouge par les Indiens pour se peindre le visage, mais on l’a utilisé aussi pour colorer des vernis , le beurre et même des fromages comme la mimolette.

La dénomination de cet arbuste serait due à l’exploration de l’Amazone par un conquistador Francisco de Orellana. D’ailleurs le nom « Amazone » viendrait aussi des Indiens qui l’auraient attaqué et qui, avec leurs longs cheveux, faisaient penser aux Amazones !

Et ce n’est pas tout, si ce champignon est aussi appelé « cortinaire des montagnes », alors qu’on le trouve aussi en plaine, c’est que certains auraient cru discerner la racine grecque « oros  » qui veut dire montagne. Vous pourrez sûrement trouver d’autres explications sur ce sujet car il y a beaucoup de travaux, recherches, ou même de thèses …

Encore une autre parenthèse, toujours concernant Cortinarius orellanus, mais littéraire et concernant son intoxication : Un petit roman d’un bressan d’origine, Didier Pobel, « Couleur de rocou », vient de sortir, qui raconte la mésaventure d’un cueilleur de champignons qui doute et pense avoir mangé de ces cortinaires. Si le suspense n’est pas très intense, le livre vaut par ses descriptions de sous bois, de champignons, et des symptômes d’intoxication.

A part ces quatre champignons les plus utilisés, quelques autres espèces sont à citer :

Laetiporus sulphureus, Polypore soufré :

Très gros champignon, pouvant atteindre 30 cm sur 60, en console et d’une belle teinte jaune orangée que l’on trouve surtout sur chênes et châtaigniers. Les Américains le cuisinent sous le nom « Poulet des bois », nom provenant de sa chair fibreuse comme du blanc de poulet, quand il est jeune. Il peut donc servir aussi à teindre de la laine, du tissu ou même du papier, en leur donnant une teinte orange avec de l’ammoniac comme mordant.

Hypholoma fasciculare, Hypholome en touffes :

Grosses touffes, de chapeaux de 2 à 6 cm, d’un roux ochracé, puis jaune citron et dont les lamelles jaunes au début deviennent verdâtres avec les spores d’un brun violacé. Sur souches et racines de feuillus et conifères. Il donne de bons résultats pour un jaune vif, de même que ses cousins : Hypholoma sublateritium et capnoides.

Quelques variétés de Sarcodons donnent des tons bleus mais je n’ai pas trouvé plus de détails.

A citer encore : Ganoderma lucidum dont le nom commun est Reishi en anglais et Mammentake en japonais. Il peut donc servir à teindre la laine et des tissus, mais il est beaucoup plus connu et même cultivé en Chine et au Japon, pour ses propriétés médicinales multiples réelles ou pas …

Pour terminer, on peut parler aussi de plusieurs lichens (symbiose d’algue et champignon pour simplifier).

Il existe une cinquante d’espèces tinctoriales, la plupart de la variété Rocella( souvent tinctoria et fuciformis), connues sous le nom vernaculaire de Orseille. Cette teinture était très utilisée déjà au Moyen Age et a servi en Ecosse pour teindre des tartans et des tweeds, également en Irlande et dans les Shetland. Les couleurs sont très variées : verts pâles, oranges, violets, rouges…..

Autre utilisation de cette propriété tinctoriale, on extrait de ces lichens un mélange de pigments solubles dans l’eau et qui sert à enduire le papier tournesol ( qui est du papier filtre), permettant de déterminer le Ph d’une solution. Le papier tournesol, qui est mauve au départ, devient rouge avec un acide et bleu avec une base. Parmi les 10 à 15 pigments différents de l’extrait de lichen, on trouve l’azolitmine, tirée également du Tournesol, ce dernier possédant les mêmes propriétés, d’où le nom donné au papier.

Pour ceux qui voudraient expérimenter ces teintures, je signale un prochain congrès sur le sujet, du 8 au 15 Octobre 2012, à JACA en Espagne, organisé par : Association Tintorea Micologica Espagnole et qui aura lieu en même temps que le Ve Congrés International Mycologique des Pyrénées, avec sorties en forêts encadrées par des experts mycologues espagnols, des ateliers , des conférences etc …


Accueil du site | Contact | Plan du site | | Statistiques | visites : 190204

Suivre la vie du site fr  Suivre la vie du site MYCOLOGIE  Suivre la vie du site Activités Mycologie   ?

Site réalisé avec SPIP 2.1.26 + AHUNTSIC

Creative Commons License